une place au musée

Comme le papillon peut se passer de vitrine, l’art brut peut se passer du musée. A la différence de beaucoup d’œuvres contemporaines qui sont conçues et réalisées pour cette institution, l’art brut n’obéit qu’à ses propres sommations. C’est un serin qui ne cherche pas sa cage, un poisson insoluble dans l’eau de l’aquarium. Le ciel où il s’envole, la mer où il se perd lui sont suffisantes prisons. Lorsqu’il choisit de se confiner, les écrins où il s’abrite le Palais idéal du facteur Chevalles Tours de Watts de Simon Rodia, la Maison Picassiette de Raymond Isidore , le sanctuaire des lasers de Monsieur G.) ont la fraîcheur de l’air libre et la folle dimension du rêve.
Vertus qui manquent naturellement aux musées d’aujourd’hui, trop souvent contraints d’organiser le morne transit de foules appareillées d’audiophones vers la boutique où l’on vend les souvenirs de la visite. Mieux vaut cependant se garder de caricaturer. Cette orientation exclusivement mercantile ne satisfait que ceux qui n’attendent rien d’autre de la fréquentation des œuvres qu’un petit frisson narcissique. Elle n’enchante guère ceux qui attendent des musées autre chose que la reconnaissance du déjà-vu par l’exhibition de produits formatés. Parmi les professionnels de la culture, elle n’enthousiasme plus ceux qui s’inquiètent de voir celle-ci dégénérer en loisir anodin. C’est pourquoi les musées peuvent de moins en moins se passer de l’art brut.
Les intégristes de l’art brut pourront crier à la récupération, la parenthèse de la négation par l’indifférence est maintenant refermée. Petit à petit l’art brut conquiert sinon sa place - car il est excentrique par définition - mais une place dans les musées, en attendant peut-être les cimaises d’une grande exposition internationale. L’association abcd considère avec pragmatisme cette évolution nouvelle. L’exemple de Marcel Duchamp est là pour lui montrer combien les provocations sont susceptibles d’être digérées par le musée. Même Dada, au musée, n’est plus qu’une momie et rien ne prouve que le vitriol de l’art brut n’y tournera pas en sirop.
Il reste que l’art brut est subversif sans le vouloir, comme on peut, pour pasticher Lewis Carroll, être "logique sans peine". On peut d’autant lui faire confiance pour résister à la normalisation muséale. La protestation de Dada, pour radicalement absurde qu’elle paraisse, a pour toile de fond la boucherie de la première guerre mondiale. Celle de l’art brut est plus ontologique, si tant est qu’elle se donne pour une protestation. A terme un phénomène d’usure se produira sans doute. Les grandes icônes de l’art brut finiront par figurer vaille que vaille dans le panthéon de l’art contemporain mais en attendant l’art brut garde intactes ses bénéfiques capacités de nuisance.
Les hauts lieux de l’art brut ne sont certainement pas les musées. C’est la chambre de Darger, c’est l’armoire de Wölfli, c’est la sacoche où Jules Leclercq enfermait ses tapisseries et qui ne le quittait jamais. Mais si les musées deviennent plus intéressants qui s’en plaindrait ? Tant qu’il se trouvera quelqu’un pour sursauter devant l’image inacceptable du petit phallus agrémentant le ventre nu d’une Vivian girls il n’y aura pas à désespérer de l’art brut. La chape d’admiration béate qui pèse comme un couvercle sur les visiteurs des musées en sera pour un temps allégée.

 

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