Les témoignages d’art brut antérieurs à la fin du XIXe siècle sont suffisamment rares pour que l’on signale l’extraordinaire document figurant dans le récent catalogue (octobre 2004) du libraire parisien Laurent Coulet. Il s’agit d’une lettre autographe de Théroigne de Méricourt (1762-1817), icône de la Révolution française et pionnière du féminisme moderne mais aussi figure remarquable dans les annales de la folie depuis que l’aliéniste Etienne Esquirol donna, en 1838, une description de son cas.
Cette lettre fut confiée au baron Théodore de Vielcastel par Théroigne, alors internée aux Petites Maisons, rue de Sèvres. Datée du 11 mars 1801, elle est adressée à Danton bien que celui-ci ait été guillotiné en avril 1794. Toute noyée qu’elle soit dans une fascinante éloquence révolutionnaire, elle n’en trahit pas moins l’expression grandiose et pathétique d’un délire : "j’ai eu une nuit si miraculeuse chez moi qu’elle feroit effroit a des pierres" (sic) .
Ce n’est pourtant pas la violence de son contenu qui frappe aujourd’hui surtout mais bien la singularité radicale de sa forme. L’écriture de Théroigne, énergique et rapide, serait lisible n’était l’enchevêtrement des lignes. Deux, voire trois messages, sont constamment superposés ne laissant plus deviner que des bribes. Haillons de langage qui résistent à toute prétention au déchiffrage total.
Roger Roques, l’auteur de la notice décrivant dans le catalogue Coulet les 8 pages de ce palimpseste insensé observe avec pertinence que "outre le défi à la compréhension, cette lettre (...) est aussi particulièrement émouvante, pour un œil moderne, par son incontestable beauté graphique faisant immédiatement penser aux exercices de calligraphies imaginaires de certains artistes du XIXe siècle, eux-même très curieux de l’Art des fous."

Librairie Laurent Coulet. 166, boulevard Haussmann. F-75008 Paris.
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Lire : Roudinesco (Elisabeth). Théroigne de Méricourt. Une femme mélancolique sous la Révolution. Seuil, Fiction & Cie, 1989.